Bonjour.
Je m’appelle Élise et j’ai 29 ans.
Cela fait 11 ans que mon père est tombé malade et que sa santé s’est dégradée et que je m’occupe de lui de manière alternée.
Mon père est un ancien militaire qui a eu un accident à l’âge de 19 ans et a perdu sa jambe. Je l’ai toujours connu en béquilles sur une jambe, à bricoler, vivre et tout faire comme une personne valide (voire même plus!). Il a fait beaucoup pour les autres, pour leur maison, il bricolait énormément. Il n’a jamais eu de problèmes de santé si ce n’est les douleurs fantômes qu’on a lorsqu’on est amputé d’un membre.
J’ai eu une enfance classique avec ma grande sœur. Des parents aimants, bienveillants, je n’ai jamais manqué de rien.
Ma mère est subitement décédée lorsque j’avais 13 ans. Environ 4-5 ans plus tard, à mes 18 ans, mon père a commencé à avoir des problèmes de santé lié à son accident et à sa jambe qu’il a perdue. Il a développé de l’arthrose sur la hanche restante et a dû se faire désarticuler celle-ci. L’opération s’est bien passée mais il a eu une complication et a attrapé des douleurs neuropathiques. C’est à ce moment-là que la descente aux enfers a commencé.
Étant donné qu’il était français, et qu’en Belgique personne ne voulait le prendre en charge car cas trop complexe + soins payés par l’armée française, il est parti se faire soigner sur Paris, à 250km du domicile familial.
Ma sœur, qui a l’époque avait 24 ans et moi, 18 ans, nous sommes retrouvées seules à la maison à devoir gérer les courses, les factures, la maison, nos études et tout ça… sans famille à proximité pour nous aider ni permis.
Dans la foulée, j’ai tout de suite pris le lead et le rôle de la « cheffe » de famille. Ma sœur avait aussi des problèmes de santé et je ne sais pas pourquoi, mon père a jeté toutes ses responsabilités sur mon dos. J’ai été obligée de passer mon permis de conduire très rapidement afin de pouvoir nous déplacer. Pour ma soeur, il n’en était pas question. C’était donc moi qui nous conduisais en cours (avec des horaires différents évidemment), qui allais au magasin, la conduisais à ses sorties, ses rendez-vous médicaux, etc.
A la maison, c’était pareil. Je pensais à tout, faisais le ménage… j’ai vite commencé à avoir le mauvais rôle et on s’est souvent disputées sur tout ça. Je lui en ai beaucoup voulu pendant plusieurs années de s’être mise dans sa bulle et de m’avoir un peu laissé tout gérer. Mais avec le temps j’ai compris que chacun avait des réactions différentes et que c’était très certainement sa façon à elle de se protéger.
En fait, rien n’avait vraiment changé depuis toutes ces années. L’état de mon père s’est aggravé, il a développé un syndrome de stress post traumatique très important (déclenché tardivement à cause de l’opération sur sa hanche). J’ai donc vu mon père se transformer en une boule de colère, égoïste, impatient, et parfois dur envers nous. A ce niveau-là, ça s’est calmé mais maintenant il est devenu extrêmement fragile émotionnellement. Ce n’est plus le papa fort que j’ai toujours connu durant mon enfance et j’ai beaucoup de mal à l’accepter.
Ma sœur a pris son indépendance et a quitté la maison familiale. Elle a eu raison, mais d’un côté je me suis retrouvée malgré moi condamnée. Elle habite dans la rue derrière, donc je peux facilement compter sur elle si problème mais il est vrai que c’est principalement moi qui est au cœur de la maladie de mon père.
Mon père est devenu « résident » dans un institut militaire de revalidation sur Paris. Il y reste plusieurs mois et rentre à la maison par période de 1 ou 2 mois (pour l’été, Noël et nos anniversaires). En gros au final il passe la moitié de l’année à la maison.
Le problème c’est qu’au plus le temps passe, au plus je vis très très mal cette situation. Je me sens piégée et obligée de rester vivre avec lui pour le reste de mes jours. Il ne sait plus vivre seul, et à 67 ans il a énormément de mal à accepter cette nouvelle vie où il est diminué et dépendant.
D’un autre côté, j’ai l’impression qu’il ne fait plus aucun effort. Ses médicaments lui ont bousillé le cerveau. Il est souvent shooté avec la morphine, il dort énormément, il ne fait plus rien. Il reste au lit toute la journée. Il faut souvent lui répéter plusieurs fois des choses. Je dois lui dire quand changer de vêtements sinon il peut porter les mêmes fringues pendant une semaine même s’ils sont tachés. Je dois être derrière lui pour qu’il prenne un minimum soin de lui. Il est diabétique donc il doit faire attention à beaucoup de choses, entre autre les écorchures qui ne guérissent plus. Si je ne le surveille pas il finit avec des plaies infectées. Il m’aide encore parfois à préparer les repas quand il est en forme. Il ne veut pas d’infirmière pour sa toilette car il dit qu’il est en vacances quand il rentre à la maison et ne veut plus tout ce corps médical de brun comme il dit… mais du coup je le vois bien qu’il ne se lave pas tous les jours… si j’essaie de le confronter il me ment ou me sors des conneries… je dois passer derrière lui pour ranger, même si je lui dis de faire attention, il ne le fait pas ou oublie. Quand on a mangé, il va s’installer dans son fauteuil devant la télé et je dois débarrasser et ranger toute seule. Au moment du coucher, il va se coucher et c’est tout. Je m’occupe du reste, de baisser les volets, de fermer les portes, de sortir le chien. Il laisse même sa lumière allumée et attend que je vienne l’éteindre et fermer la porte. Il se laisse littéralement vivre et compte sur moi pour tout.
Et en fait, je deviens en colère tout le temps… je n’ai plus de patience, je ne supporte pas de le voir diminué. Je suis en colère parce que quand je le vois, je me vois condamnée à cette sentence et je me dis que je suis en train de gâcher ma vie. Je suis en colère parce qu’il ne fait pas du tout attention à rien. Dans le sens où, j’ai 29 ans, et il continue de se balader en slip le matin au réveil au lieu d’enfiler un short. Je l’aime beaucoup mais je n’ai pas forcément envie de voir ses attributs qui dépassent parce qu’il s’en fout. Peut-être que c’est la maladie qui fait ça je ne sais plus… bref. Je dois constamment aussi lui dire de baisser son t shirt car on voit son ventre. Il ne fait vraiment attention à rien et lui qui était si « coquet », se laisse complètement aller. Ce sont toutes ces petites choses qui me rendent dingue.
Certains amis m’ont beaucoup dit que je n’avais qu’à partir, prendre mon indépendance et voilà. Mais s’ils savaient à quel point c’était bien plus compliqué que ça… si je pars de la maison, on doit s’en séparer. Je le condamne donc à passer le reste de sa vie dans cette institution à 250km de sa famille. Et la maison pour lui tout seul est trop grande. Puis je ne pourrais pas m’assurer de sa sécurité et de son bien-être, assurer l’entretien de sa maison, tout en gérant la mienne, mon travail et ma vie à côté. Impossible.
Vous me direz de quoi je me plains? J’ai 29 ans, une maison, je n’ai pas de crédit sur le dos, mon père paye le loyer, les factures, je n’ai qu’à payer ma nourriture, mon essence et mes frais à moi. Je culpabilise même en fait de me plaindre de cette situation car j’ai l’impression d’être une profiteuse. Mais à côté de ça, je n’ai pas d’intimité, de vie amoureuse, de projet maison ou bébé. Rien.
La maison est mal agencée pour que nous ayons chacun notre espace. Sa chambre est collée à la mienne. Toutes nos soirées on les passe ensemble devant la télé. En plus il est assez… collant donc si je m’isole dans une pièce au calme il va soit venir me regarder sans raison, soit me demander ce que je fais. Il s’ennuie très certainement… mais ça me rend dingue !
Les seuls moments de répits que j’ai, c’est quand il est sur Paris. Là je suis beaucoup mieux, même si le mal être de passer à côté de ma vie se fait toujours sentir. Après, il appelle tous les soirs, sans aucune exception. Des fois plusieurs fois par jour! On s’envoie des messages à longueur de journée si bien que des fois je n’ai plus rien à lui raconter au téléphone et c’est quand même assez étouffant aussi comme situation même s’il y a la distance. Ma sœur ne décroche pas tout le temps quand elle n’en a pas envie(c’est une discussion de groupe) du coup j’ai encore cette responsabilité de décrocher tous les jours pour être sûre qu’il ait quelqu’un à qui parler. Même si moi je n’ai pas envie, et bien je me sacrifie et je le fais quand même pour lui.
Il ne supporte pas non plus être à l’institut à Paris. Il dit à tout le monde qu’il va rentrer définitivement à la maison et moi je suis là… en train de me dire bon sang pitié non… pas ça…
La maison n’est pas non plus une mince affaire… Je vis dans la maison familiale avec 35 ans de vie et de bazar… cela fait des années que j’essaie de trier et désencombrer car je ne supporte pas vivre ainsi mais cela me demande une énergie folle. Et ça aussi, ça me fout la haine d’avoir hérité de tout ça !
Enfin bref… je suis mal. J’ai été suivi par un psy pendant 2 ans et ça m’a beaucoup aidée mais à part raconter ma vie et me plaindre, je ne fais pas grand chose d’autre. J’ai donc stoppé. Je suis sous antidépresseurs depuis facilement 4-5 ans. J’ai vrillé à un certain moment, j’avais des crises d’angoisse, de colère très forte, je pleurais tout le temps.
C’est plus facile à gérer avec l’antidépresseur mais malgré tout la colère est toujours bien présente. Je lui parle mal, je suis agacée, je l’évite. Je ne veux pas lui faire de la peine mais clairement je n’en peux plus.
Je lui avais même parlé d’un projet d’acheter une maison et lui faire une dépendance pour que chacun ait son espace mais je ne suis pas sûre de ça. En discutant il n’a pas l’air de comprendre la même chose que moi, ni d’avoir la même notion d’espace que moi. J’ai l’impression qu’il veut vivre avec moi et tout partager.
Les choses n’iront pas en s’arrangeant. Et je suis réellement prête à mettre ma vie entre parenthèse pour m’occuper de lui. Mais je finirais par mourir à petit feu. Je le sais. Ça me rend extrêmement triste. Mais ai-je le choix? Dois-je vraiment laisser mon père dépérir dans un institut si loin pour vivre ma vie? Et quelle vie? Après tout ce que lui a sacrifié pour nous ses enfants…