L’organisation du patrimoine de la personne âgée et le conflit d’intérêts

L’organisation du patrimoine de la personne âgée et le conflit d’intérêts

Les aidants sont parfois surpris qu’il soit nécessaire de confier certaines missions de la tutelle à un tiers en raison du conflit d’intérêts. Il s’agit d’une notion juridique qui n’a rien à voir avec un conflit entre les parties.

Qu’est-ce que le conflit d’intérêts ?

Le conflit d’intérêts se définit comme une interférence ou un risque d’interférence entre des parties qui ont des intérêts divergents lorsque cette situation peut être regardée comme étant de nature à influencer l’exercice indépendant ou impartial d’une fonction, d’une mission ou d’une prise de décision. 

Les intérêts en cause peuvent être juridiques, financiers, patrimoniaux, professionnels, commerciaux ou civils.

Dans une telle situation, la décision est susceptible d’être faussée par manque d’objectivité et de neutralité.

Quelques exemples de conflits d’intérêts dans une relation aidant/aidé

Sur la gestion du budget, l’exemple caractéristique du conflit d’intérêts est l’aidant de la personne aidée, rémunéré en emploi direct. Cette situation a été signalée à plusieurs reprises. L’aidant salarié, du fait du contrat de travail qui le lie à son proche, est dans un lien de subordination avec son proche, qui, bien que dépendant de lui en raison de son état de santé, est son employeur. L’employeur fixe les conditions du contrat de travail. Il définit la durée, la rémunération, le lieu d’exercice, les tâches à accomplir, dans le cadre d’un contrat. Il en surveille la bonne application.

On peut comprendre que l’aidant ne peut être en même temps tuteur ou curateur de son proche, car on ne peut pas être, en même temps, l’employeur et l’employé.

La procédure de divorce est un autre exemple en droit de la famille et concerne, par exemple, le fils, tuteur de sa mère. Si le père engage une procédure de divorce, le fils, mandataire de sa mère, évidemment, ne pourra pas la représenter dans la procédure de divorce, qui ne le concerne pas s’agissant d’un droit éminemment personnel, et ce, même s’il soutient la position de sa mère.

Le droit du partage conduit à un risque juridique de conflit d’intérêts entre l’aidant et l’aidé, en raison de l’organisation habituelle en droit français du patrimoine des époux et des successions.

Le régime matrimonial de communauté réduite aux acquêts, le plus courant en France, donne des droits au conjoint survivant dans la succession de son conjoint prédécédé. Ces droits sont parfois renforcés par une donation au dernier vivant des époux. Il a un droit d’usufruit, c’est-à-dire la jouissance des revenus des biens, qu’il les occupe ou non, mais surtout, il en a la charge. Les autres héritiers, souvent ses enfants, qui se proposent comme aidants ne seront pas en mesure de gérer les revenus provenant de l’usufruit. Il y aurait risque de conflit d’intérêts.

Par exemple, le curateur ou le tuteur pourrait préférer épargner pour augmenter son patrimoine futur au lieu d’employer les revenus au bien-être de son proche.

C’est pourquoi, il est indispensable d’indiquer au juge de la protection des majeurs quelle est l’organisation patrimoniale des époux afin qu’il mette en place les protections nécessaires à la protection de la personne et non celle des intérêts de ses héritiers.

Ces conflits existent aussi entre les héritiers et le mandataire professionnel qui sera désigné. Le juge veillera à ce que le mandataire ne privilégie pas la gestion économique favorable aux héritiers au détriment du bien-être de la personne protégée.

L’indivision constitue un autre exemple. Un fils veut racheter la maison de la personne sous tutelle mais sa sœur, s’y oppose, car elle est venue vivre dans la maison familiale pour visiter sa mère quotidiennement et surveiller les traitements par l’EHAD où elle réside.

Les deux héritiers se partagent la part de leur père dans la maison familiale dont la mère assume toutes les charges en raison de l’usufruit dont elle est titulaire sur la part de son mari et au titre de sa moitié de propriété sur le bien commun. Une telle situation est très fréquente.

Pour aider sa mère à payer l’hébergement en maison de retraite, la fille a accepté de prendre en charge les frais d’occupation de la maison familiale afin d’en soulager sa mère, mais elle n’a pas les moyens de payer une indemnité d’occupation. En effet, celui qui occupe de façon privative un bien en indivision doit une indemnité d’occupation. Mais elle considère qu’elle ne la doit pas en raison de l’assistance en nature qu’elle apporte à sa mère et propose que la tutrice de la mère demande une aide alimentaire au fils.

Ce que le fils refuse absolument, ne voulant en rien participer à l’entretien de sa mère.

Les deux enfants sont en conflit d’intérêts entre eux, mais surtout avec leur mère.

De plus, dans cet exemple, la tutrice s’est mise en conflit d’intérêts avec la maman, sa protégée. 

Elle ne veut pas admettre que la vente de la maison va priver la personne protégée de la présence de sa fille en fin de vie, lui causant un préjudice considérable.

Elle lui choisit une avocate, qui se trouve elle-même en conflit d’intérêts avec sa cliente. 

Heureusement, la loi prévoit des solutions. 

Un avocat doit être totalement indépendant. Si la personne protégée a besoin d’être représentée, le juge ou le mandataire doit demander un avocat commis d’office à l’Ordre des avocats et non se voir choisir un avocat par le mandataire.

Le mandataire doit faire preuve de loyauté et de probité, c’est-à-dire de faire preuve d’une honnêteté scrupuleuse.

C’est pourquoi le code civil prévoit la nomination d’un mandataire ad hoc, c’est-à-dire pour les besoins d’un acte :

  • Article 461 : Le curateur est réputé en opposition d’intérêts avec la personne protégée lorsqu’il est bénéficiaire de la donation.
  • Article 507 : En cas d’opposition d’intérêts avec la personne chargée de la mesure de protection, le partage à l’égard d’une personne protégée peut être fait à l’amiable sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge. Il peut n’être que partiel.
  • Article 508 : A titre exceptionnel et dans l’intérêt de la personne protégée, le tuteur qui n’est pas mandataire judiciaire à la protection des majeurs peut, sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge, acheter les biens de celle-ci ou les prendre à bail ou à ferme.

Pour la conclusion de l’acte, le tuteur est réputé être en opposition d’intérêts avec la personne protégée.

  • Article 455 : En l’absence de subrogé curateur ou de subrogé tuteur, le curateur ou le tuteur dont les intérêts sont, à l’occasion d’un acte ou d’une série d’actes, en opposition avec ceux de la personne protégée ou qui ne peut lui apporter son assistance ou agir pour son compte en raison des limitations de sa mission fait nommer par le juge ou par le conseil de famille, s’il a été constitué, un curateur ou un tuteur ad hoc.

Cette nomination peut également être faite à la demande du procureur de la République, de tout intéressé ou d’office.

En conséquence, l’article 455 du code civil exige la nomination d’un curateur ou tuteur ad hoc dès que la gestion du mandataire désigné est contestée, car il y a conflit d’intérêts et le tuteur ou curateur ne peut se défendre contre lui-même.

Le code civil de la protection des majeurs définit ainsi les cas de conflit d’intérêts, organise la gestion patrimoniale en sorte que le mandataire ne soit en conflit d’intérêts ni avec les proches ni avec la personne protégée.

Dès que ce risque existe, toute personne peut saisir le juge des tutelles d’une requête pour lui demander, soit de changer le mandataire, soit de nommer un mandataire ad hoc pour effectuer un acte particulier. 

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