Le poids des mots

Le poids des mots

« Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) » écrivait Marshall B. Rosenberg, le père de la communication non violente. Une phrase dont on peut quasiment faire l’expérience chaque jour lorsque l’on est proche aidant ! La communication est un art difficile et nul n’est à l’abri de maladresses : personnes accompagnées, proches aidants, professionnels de l’aide et du soin. Ce constat posé, force est de constater que des mots particulièrement lourds ont circulé et sévissent encore lorsqu’il est question des proches aidants !

Des aidants naturels aux aidants indispensables

Aux alentours des années 2000, lorsque le sujet des aidants a émergé en France, on parlait des  »aidants naturels », comme s’il était forcément naturel d’accompagner un proche en difficulté de vie. Comme si les relations entre proches étaient toujours simples et lumineuses, comme si c’était une évidence de faire la toilette d’un proche, de consacrer plusieurs heures chaque jour à l’accompagner, au point parfois d’être assigné à résidence d’aider. 

L’idée que ce rôle est naturel a pourtant la dent dure ! Les petites phrases distillées au quotidien en témoignent régulièrement : « C’est ta mère, elle t’a donné la vie », « c’est ton épouse, tu as signé pour le meilleur et pour le pire », « tu ne travailles plus, ton père ne va quand même pas aller en Ehpad ! », etc. 

On a ensuite parler d’aidants familiaux, laissant dans l’ombre les 18 % de proches aidants qui accompagnent un ami ou un voisin. 

Les proches ont aussi été baptisés « aidants non professionnels » et « aidants informels », expressions qui nient la place singulière occupée par les proches et qui introduisent une hiérarchie qui n’a pas lieu d’être entre proches et professionnels. 

Depuis 2015, avec la loi d’adaptation de la société au vieillissement, l’expression « proche aidant » est inscrite dans la loi. Une façon symbolique d’affirmer enfin que les aidants sont avant tout des proches et qu’ils ne sont pas tous des membres de la famille ! Oui mais voilà…après ce pas en avant, trois pas en arrière ont été faits par certains, introduisant l’expression d’« aidants indispensables » pour désigner les bénéficiaires potentiels du droit au répit.

De la sainte au héros…

Dans un micro-trottoir réalisé par l’Association Française des Aidants, des passants ont été interrogés pour connaître les 3 mots qu’ils associaient au rôle d’aidant. Leurs réponses sont révélatrices de l’imaginaire collectif associé aux aidants : don, solidarité, disponibilité, abnégation, patience, service, sacerdoce, compassion, générosité…Autrement dit, les aidantes sont des saintes et les aidants sont des héros ! Ces auréoles ne sont-elles pas trop lourdes à porter ? Ces représentations donnent bonne conscience, elles subliment et flattent mais elles enferment aussi les personnes concernées dans des rôles lourds à porter dont il est difficile de sortir. 

Du fardeau à l’épuisement…

Les professionnels proposent parfois aux aidants de passer l’échelle de Zarit qui permet de mesurer le fardeau. Si accompagner un proche au quotidien peut être extrêmement lourd, peut-on réduire cette expérience à ce mot connoté qui renvoie une image terriblement négative des personnes accompagnées ? Les aidants doivent-ils être considérés comme des victimes à secourir…pliant sous le poids du fardeau ? 

Alain Rey, linguiste bien connu, le rappelait dans une interview à l’Association Française des Aidants : le mot aider découle du latin « adjudare ». Il contient le suffixe « juv » qui signifie la joie. Sans tomber dans l’angélisme, cette lecture nous rappelle que le mot « aider » contient aussi du positif, le sens qu’il peut avoir et le caractère précieux de ce qui peut être vécu en tant que proche aidant ! 

Du placement à l’abandon…

Accompagner un proche en situation de dépendance peut amener à prendre des décisions délicates, difficiles ou douloureuses. Par exemple, lorsque la vie à domicile devient trop compliquée, le choix de l’établissement d’accueil est parfois envisagé. On parle alors souvent de « placement » en Ehpad. Ce mot violent ne dit rien du souci qu’ont le plus souvent les proches à trouver les solutions les plus adaptées à la situation. On n’entend même parfois parler d’abandon, comme ce fut le cas lors de la canicule en 2003. Un mot impropre compte tenu de l’implication majeure des millions proches dans l’accompagnement au quotidien des personnes malades, en situation de handicap ou de dépendance ! 

La parole aux proches aidants !

Dans une enquête nationale réalisée par l’Association Française des Aidants, des proches aidants ont été invités à associer leurs propres mots à ce rôle. Les mots les plus fréquemment exprimés étaient les suivants : bienveillance, implication, difficulté, aider, devoir, oubli de soi, relation à l’autre, solitude, richesses, reconnaissance. On est ici bien loin du triptyque trop souvent utilisé par les professionnels : la culpabilité, le déni et l’épuisement. 

Heureusement, les proches aidants prennent de plus en plus la parole. On le voit dans les médias, les groupes de travail, les concertations ministérielles, les instances de représentation des usagers. Enfin, ils commencent à s’exprimer par et pour eux-mêmes, en donnant à voir et à entendre ce qu’ils vivent au quotidien et ce à quoi ils aspirent. 

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