Partie 1 – « Mais où est la vie dans tout ça ? » L’histoire de Catherine, aidante de ses deux parents

Partie 1 – « Mais où est la vie dans tout ça ? » L’histoire de Catherine, aidante de ses deux parents

Catherine « n’a plus de vie » dit-elle depuis qu’elle est devenue simultanément aidante de son père souffrant de pathologies très lourdes et de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Pendant plusieurs années, elle s’est occupée du quotidien et du bien-être de ses parents qui vivaient à leur domicile. Au décès de son père, elle a accepté de devenir la tutrice de sa mère âgée de plus de 80 ans et qui vit aujourd’hui en établissement. Voici son témoignage.

Catherine, aidante familiale, vit en région parisienne avec son mari. Ils ont 2 enfants. Elle a une sœur ainée qui vit à moins de 300 km mais est seule pour s’occuper de sa maman ; sa sœur estimant que c’est à elle de le faire, puisque dit-elle : « elle n’a que ça à faire » …

Dans quelles circonstances êtes-vous devenue aidante de votre maman ?

Un peu malgré moi car j’ai dû m’adapter à la situation. Vous savez, on devient aidant par nécessité, on n’a pas vraiment le choix et puis on ne s’attend pas à une telle charge et à une telle souffrance. Si mes parents avaient un peu anticipé leur vieillesse, ils ne se seraient pas retrouvés isolés dans leur maison au milieu de nulle part. Ils habitaient un tout petit village.

Mes parents n’habitaient pas loin de chez moi. Mon papa est devenu dépendant et ma mère commençait à « déconner » plus que d’habitude. Je me suis dit « elle vieillit » et je ne me suis pas inquiétée plus que ça. En fait elle passait ses journées à désherber son jardin !
Même si ma mère a toujours été une originale, je voyais bien que son comportement changeait. Mon père m’a dit un jour qu’elle faisait de la ratatouille tous les jours.
Il faut dire que mon père était quelqu’un de très gentil, de très effacé et au début il ne me parlait pas des excentricités de sa femme. Mais j’ai vu qu’à la maison ça devenait du n’importe quoi. Ils s’étaient « clochardisés » doucement dans leur maison.

A l’époque, je suis tombée malade (abcès à l’intestin). C’était grave mais je ne le savais pas.
J’avais 53 ans. A ce moment là aussi, j’avais des problèmes avec ma fille. Je n’étais pas en forme. La prise en charge de mes parents est devenue subitement si lourde que je n’ai pas eu de convalescence.
J’avais parlé au médecin traitant du comportement de ma mère et il m’a orienté vers la consultation mémoire de l’hôpital. Je m’interrogeais sur son comportement mais je n’avais pas imaginé que ça pouvait être la maladie d’Alzheimer.

Et puis l’annonce est tombée. Je dois dire que le médecin qui nous a reçu à l’issue des tests nous a annoncé brutalement « eh bien c’est ça, elle a la maladie d’Alzheimer ». Ma mère n’a rien compris et moi, c’est un mot qui me fait peur. Il a poursuivi en disant qu’elle était à un stade déjà avancé et m’a dit sans ménagement : « attendez-vous à un chemin difficile ».

J’étais sonnée. Je n’arrivais plus à réfléchir. Mon papa était dépendant depuis plusieurs années (lourdes pathologies). J’avais déjà mis en place des aides pour lui car j’étais déjà son aidante. Je n’ai rien dit à mon père. Je voulais le protéger. Il est resté dans le déni. Il faisait comme si tout était normal. C’était sa façon à lui de se protéger. Après le choc, de l’annonce, n’ayant eu aucune information, je me suis renseignée sur Internet. J’ai lu beaucoup de choses. A ce moment-là j’ai demandé au médecin traitant de ma mère s’il connaissait une association d’aide. Il m’a orienté vers la coordination gérontologique du Mantois. C’est une association d’aide aux personnes dépendantes avec une équipe pluridisciplinaire. Ils m’ont tout de suite aidée à mettre en place le maintien à domicile pour mes parents mais la maladie de maman a progressé assez vite.

Dans un premier temps j’ai essayé de leur faire porter des repas à domicile, mais là encore ça ne fonctionnait pas. J’ai donc décidé de mettre en place des aides à domicile qui intervenaient jour et nuit. On avait embauché 2 auxiliaires de vie qui venaient en alternance 1 semaine sur 2. Par chance, mes parents disposaient de moyens suffisants. Mais ça n’allait pas, elles faisaient de la garderie mais s’occupaient peu du quotidien. Elles ne faisaient pas les courses, juste le ménage et les repas sans la moindre initiative de bon sens… Et puis on a eu des soupçons de vol ! Du coup, j’étais obligée de m’occuper des courses, des repas, du chien… c’est comme si j’habitais là-bas. Dès qu’il y avait un souci, les auxiliaires de vie m’appelaient pour que je m’en occupe ! Et puis, pendant cette période, mon père comme ma mère ont dû être hospitalisés plusieurs fois. Mon mari, toujours en activité professionnelle, a dû quitter plusieurs fois son travail pour venir m’aider.

Vous étiez seule pour vous occuper de vos parents ?

Non, mon mari dès le début, m’a aidée, à l’époque il était encore salarié.
Le souci c’est que j’ai une sœur aînée qui n’a jamais pris part aux problèmes. Elle était dans le déni total. Dans un refus confortable de l’évidence. A-t-elle, je lui avais annoncé la maladie de maman. Elle venait les voir parfois le week-end, en coup de vent. Elle se rendait compte de ce qui se passait mais n’a jamais donné d’elle-même pour nos parents. Quand je lui ai fait part de tout ce que je devais faire et de mes difficultés, elle me répondait : « tu n’as que ça à faire, moi je travaille !». Moi j’avais arrêté de travailler pour m’occuper de mes enfants. Je suis artiste. J’ai toujours fait du bénévolat dans les associations. Pour moi, la solidarité c’est important. Avec ma sœur alors, j’ai rompu les liens. Elle m’a méprisée.

D’après vous, pourquoi votre soeur a_t_elle réagi comme ça ?

Quand nous étions jeunes, ma sœur était plutôt une petite fille très normative alors que moi j’ai profité de ma jeunesse au maximum. Elle m’en veut peut-être. Je ne sais pas pourquoi elle a réagi comme ça. Aujourd’hui, je me considère comme une enfant unique. Et puis, un jour ma maman a été hospitalisée et le médecin gériatre m’a dit que le retour à domicile n’était plus possible, qu’ils allaient la garder le temps que je trouve un Ehpad.
A ce moment-là, j’ai décidé de chercher un établissement pour mes 2 parents car financièrement, ce n’était plus possible et aussi j’ai pensé qu’il était préférable de ne pas les séparer. Je pensais que c’était très important qu’ils restent ensemble.

J’ai alors eu de la chance car une amie m’a parlé d’un établissement d’accueil pas trop loin de chez moi en me disant qu’il y avait 2 places et qu’elle pourrait appuyer ma demande pour mes parents. Du coup, j’ai fait les dossiers et ils ont pu rester ensemble.

Mon père ne voulait pas y aller au départ mais comme cela s’est fait très rapidement, puisque 2 jours après ils étaient installés, mon père n’a pas eu le temps d’y penser et finalement ça s’est bien passé. J’allais les voir 2 à 3 fois par semaine. C’était à 40 km de chez moi. Moi j’étais rassurée, car ils étaient dans un endroit sécurisé. L’état de ma mère se dégradait de plus en plus.

Je n’avais plus de vie à ce moment-là car de mon côté j’ai continué à m’occuper de leur maison, des factures, de l’entretien du jardin… J’avais procuration sur les comptes bancaires depuis longtemps parce que je payais tout pour eux. Et puis, il a fallu aussi que je prenne leur chien chez moi. Pour moi, c’était aussi des frais supplémentaires.
Quand j’allais les voir au début, ça se passait plutôt bien. Mon père participait aux activités et finalement il s’est fait rapidement à la vie en établissement. Et puis, je voyais que mon père diminuait. Il était sous oxygène. Il me disait que dans l’établissement, c’était beaucoup moins bien qu’au début. Et puis un jour, mon père me dit : « j’ai très mal au ventre ». Ils l’ont transféré à l’hôpital et là ils ont vu qu’il avait un fécalome énorme. Ils l’ont opéré et ils l’ont renvoyé en maison de retraite. Mais le lendemain il a dû être hospitalisé à nouveau et là il m’a dit : « je suis en train de partir » et il est mort dans la nuit. J’ai entamé une procédure à l’encontre de l’Ehpad.

Après son décès, j’ai cherché une autre maison de retraite pour ma maman plus près de chez moi et maintenant elle est bien. Elle y est depuis janvier 2016. Je trouve même qu’elle a progressé. Elle y est mieux stimulée par une psychomotricienne et toute une équipe bienveillante. Elle me reconnaît toujours. C’est difficile de voir sa maman dans cet état-là. Elle pleure beaucoup.

Vous dites que vous n’aviez plus de vie, vous êtes mariée, comment cela se passe t-il avec votre mari ?

Mon mari travaillait mais il en avait marre car on ne faisait plus rien ensemble. On ne partait plus en vacances. Vous me demandez comment cela se passe avec mon mari. Je préférerais, si vous le voulez bien, que ce soit lui qui réponde. Voici son témoignage :
« J’ai l’impression qu’on me vole ma vie. Je ne peux pas profiter de ma retraite. Au moment où je pourrais (nous pourrions) envisager une vie sereine, je dois solidairement prendre en charge une part grandissante d’emmerdements toujours réactualisés. De plus, je m’inquiète de la santé morale et physique de ma compagne. Au moment du départ à la retraite, les années en bonne santé sont comptées. Or qu’en faisons-nous ? Je n’ai plus aucun projet à brève ou longue échéance, plus envie de rien. A force de ressasser ces problèmes, je me dis que lorsque les problèmes dûs aux anciens seront réglés, nous-mêmes ne seront plus en état de profiter de la vie. Ça ouvre les yeux, mais pas sur un avenir radieux ».

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